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Le poids des secrets de famille

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Qu'est-ce que transmettre ?

  • Qu'est-ce que transmettre ?
  • Ce que « transmettre » veut dire
  • Le poids des secrets de famille
  • Capital culturel et reproduction scolaire
  • Famille et socialisation
  • Parentй. des biens et des liens
  • Familles. de quoi hйritons-nous. Entretien avec Martine Segalen
  • Communication, transmission, un couple orageux
  • La fabrication de Dieu. Entretien avec Rйgis Debray
  • Communiquer n'est pas (que) transmettre
  • Diffusion et йvolution des langues
  • Transmettre, oui. mais comment ?
  • Les savoirs, de La Bible а Internet
  • L'йcole, зa sert d'abord а faire la sociйtй
  • Quand les organisations communiquent
  • La transmission des identitйs religieuses
  • Culture et tradition
  • Une mйmoire d'exil а l'йpreuve du retour
  • Saint-Cyr. des traditions turbulentes
  • Des choix politiques en hйritage
  • Comment se fabrique le patrimoine ?
  • Les rйveils de la mйmoire
  • La mйmoire ouvriиre en France. Entretien avec Madeleine Rebиrioux
  • 14-18. comment les hйros sont devenus victimes. Entretien avec Annette Becker
  • Algйrie. un trop-plein de mйmoires. Entretien avec Benjamin Stora
  • Auschwitz. une mйmoire singuliиre ?

Les secrets de famille sont la cause de troubles affectifs qui se transmettent de parents à enfants. Ils peuvent faire obstacle, à leur tour, au bon déroulement des acquisitions scolaires.

La transmission trouve йvidemment son terrain de choix dans la famille et dans l'йcole. L'importance de l'une et de l'autre rend d'autant plus essentielle leur complйmentaritй. Or les processus de transmission а l'oeuvre dans la famille et dans l'йcole peuvent s'йtayer, mais ils peuvent aussi s'annuler. Une telle situation peut porter sur un contenu - par exemple en cas de dйsaccord d'une famille sur certaines valeurs transmises а l'йcole, comme la laпcitй -, mais elle peut aussi porter sur la capacitй de l'enfant а bйnйficier des transmissions scolaires. Pour que l'enfant puisse bйnйficier de la situation de transmission, il faut en effet qu'il accepte que l'adulte soit en situation de lui transmettre et кtre capable d'intйgrer ses expйriences nouvelles а l'ensemble de sa personnalitй. Or, ces deux processus peuvent кtre gravement gкnйs par l'existence de secrets.

Les enfants qui grandissent dans des familles oщ il existe des secrets graves prйsentent souvent des troubles de leurs apprentissages scolaires. Ils sont, par exemple, rкveurs, dissipйs, ou concentrent leur intйrкt sur une seule matiиre aux dйpens de toutes les autres.

Pour comprendre ce processus, nous devons, il est vrai, rompre avec un certain nombre d'erreurs qui entourent la notion de secret de famille. Tout d'abord, un secret de famille n'est pas seulement quelque chose que l'on ne dit pas, puisque nous ne disons bien entendu pas tout et а tout moment. Il porte а la fois sur un contenu qui est cachй et sur un interdit de dire et mкme de comprendre qu'il puisse y avoir, dans une famille, quelque chose qui fasse l'objet d'un secret. En outre, dans leur grande majoritй, les secrets ne sont pas organisйs autour d'йvйnements coupables ou honteux comme on le croit souvent. Les fameuses « fautes de nos ancкtres » ne sont qu'une source trиs minime de secrets de famille. La plupart d'entre eux sont en fait organisйs autour de traumatismes vйcus par une gйnйration et incomplиtement symbolisйs par elle. Il peut s'agir de traumatismes privйs, comme un deuil, mais aussi collectifs comme une guerre ou une catastrophe naturelle.

Ces йvйnements n'ont pas reзu de mise en forme verbale, mais ils ont toujours йtй partiellement symbolisйs sous la forme de gestes et d'attitudes et, parfois aussi, d'images montrйes ou racontйes en famille. En effet, la symbolisation n'est pas seulement verbale. Elle est aussi sensori-motrice, а travers les gestes, attitudes, mimiques, et elle est йgalement imagйe а travers les images construites ou seulement imaginйes. Ces symbolisations partielles peuvent, dans le cas d'йvйnements douloureux, se traduire chez les parents par des silences ou des propos йnigmatiques, des pleurs ou des colиres sans motif apparent, totalement incomprйhensibles pour leurs enfants.

Ceux-ci vont se trouver, de ce fait, confrontйs а de grandes difficultйs. Un parent leur manifeste des йmotions, des sensations et des йtats du corps en relation avec une expйrience forte, mais sans pouvoir leur confirmer la nature de ce qu'il йprouve et encore moins leur en expliquer la raison. Ses attitudes et ses gestes peuvent notamment entrer en contradiction avec les mots qu'il prononce, mais aussi entre eux, et кtre mкme parfois totalement dйplacйs par rapport а la situation.

C'est, par exemple, le cas de la mиre qui regarde son enfant en souriant puis cesse brusquement de sourire et s'assombrit. Ou bien, c'est le cas du pиre qui tient son enfant sur ses genoux en regardant la tйlйvision, et se raidit soudain en йcartant l'enfant. Ces changements brutaux d'attitude, de mimique, de comportement ou d'intonation ont toujours une cause prйcise. Par exemple, la mиre a cru soudain voir dans le regard de son enfant, ou mкme dans la seule forme de son visage, quelque chose qui lui a rappelй le visage de son propre frиre а un moment oщ elle a eu trиs peur de lui. Le pиre qui regardait tranquillement la tйlйvision a soudain йtй bouleversй parce qu'un mot ou une image a rйveillй un souvenir terrible de son histoire passйe. A travers ces « suintements » du secret - qui peuvent кtre aussi bien des mots rйpйtйs, des lapsus ou des comportements -, l'enfant pressent une souffrance chez son parent.

Considйrйs d'un point de vue extйrieur, les secrets de famille consistent donc en йvйnements gardйs cachйs sur plusieurs gйnйrations. Mais, pour les enfants qui grandissent en y йtant confrontйs, l'important ne rйside pas dans l'йvйnement initial qu'il leur est de toute faзon le plus souvent impossible а connaоtre. Il consiste dans leurs questions et leurs doutes а son sujet, et, plus encore, dans les choix qui en dйcoulent.

Face а cette souffrance dissimulйe, l'enfant peut en effet rйagir de trois maniиres diffйrentes, qui peuvent chacune porter ombrage а ses apprentissages.

D'abord, il peut imaginer qu'il est lui-mкme le responsable de la souffrance qu'il pressent chez son parent et s'engager dans la voie de la culpabilitй. Cette maniиre de rйagir est plutфt caractйristique de la petite enfance. Dans les premiиres annйes de la vie, en effet, l'enfant se sent volontiers l'origine et la cause de ce qu'il perзoit chez les adultes qui l'entourent.

Perte de confiance envers les autres et soi-mкme

L'enfant plus grand imagine volontiers que ses parents sont coupables de quelques actes terribles qu'ils voudraient lui cacher. Il n'est pas tant sujet а la culpabilitй qu'а la perte de confiance en ses parents. Cette perte de confiance peut s'йtendre aux adultes auxquels ces derniers sont appelйs а dйlйguer une partie de leur pouvoir, en particulier les enseignants. Enfin, il est йgalement possible que l'enfant perde confiance en ses propres capacitйs. C'est le cas lorsqu'il est confrontй а des parents qui lui affirment que les choses ne sont pas telles qu'il les a vues ou entendues. L'enfant a alors l'impression de ne plus pouvoir faire confiance en ses propres capacitйs. Il perd confiance en lui, et il peut finir par douter de la rйalitй de ce qu'il voit et entend, et mкme de l'ensemble de ses capacitйs psychiques. Par ailleurs, les enfants qui grandissent dans une famille а secrets deviennent souvent а leur tour des adultes qui crйent de nouvelles situations de secrets. Comme ils ne peuvent pas maоtriser les secrets dont ils sont victimes, ils tentent d'en crйer d'autres qu'ils puissent contrфler. Mais leurs enfants risquent bien d'en кtre perturbйs а leur tour. En tous cas, un secret de famille anodin - ou que tout le monde connaоt et fait semblant d'ignorer - en cache bien souvent un autre, qui peut кtre trиs grave, dans les gйnйrations prйcйdentes. Heureusement, tous les traumatismes n'engendrent pas forcйment un secret, car il est toujours possible d'йvaluer et de surmonter leurs effets.

La transmission d'un secret collectif

La plupart des secrets sont liйs а un traumatisme non-surmontй, qui peut кtre individuel, comme un deuil ou une fausse couche, ou collectif. les catastrophes naturelles, les attentats et les guerres sont des sources importantes de secrets dans lesquelles le silence familial est redoublй par le silence social. La transmission peut alors кtre malade au niveau d'un pays entier, comme le montre le cas de l'Allemagne de l'Ouest aprиs la guerre. Ce pays, а partir de 1950 et encore plus aprиs 1980, s'est en effet si bien engagй dans un effort d'explication du national-socialisme que certains historiens l'ont pris comme modиle de nation authentiquement dйsireuse de tourner la page d'un passй tragique.

Les enfants d'вge scolaire ont bйnйficiй de films, d'йmissions de tйlйvision, d'expositions photographiques et d'interventions scolaires sur les crimes du nazisme. Pourtant, certains historiens nient qu'il y ait eu dans l'Allemagne d'aprиs-guerre une vйritable volontй d'expliquer cette pйriode. Comment rendre compte de cet apparente contradiction ?

En fait, il n'y a pas eu deux consignes opposйes donnйes aux mкmes institutions qui auraient йtй. « Parlons du national-socialisme » et « Ne parlons pas du national-socialisme ». Si tel avait йtй le cas, il aurait йtй possible de dйnoncer la duplicitй officielle beaucoup plus tфt, et les historiens ne se seraient pas privйs de le faire. En rйalitй, les deux messages diffйrents ont йtй dйlivrйs а deux instances distinctes. D'un cфtй, l'Etat a encouragй indirectement ses institutions et notamment l'йcole, а йvoquer les crimes du national-socialisme. D'un autre cфtй, le mкme Etat a encouragй le silence familial sur cette pйriode de l'histoire allemande. Un propos couramment tenu par les politiques allemands, toutes tendances confondues, йtait alors que la gravitй de ces йvйnements justifiait que l'on respecte le silence sur eux. Ils ne conseillaient pas aux parents de se taire, mais le rйsultat йtait le mкme. Les parents rйticents а parler de ce qu'ils avaient vйcu entre 1933 et 1945 se sentaient justifiйs de se taire et leurs enfants culpabilisaient de vouloir insister. En pratique, cela signifiait qu'un enfant qui entendait parler longuement de la guerre а l'йcole, puis qui rentrait chez lui et tentait de parler avec ses parents, se heurtait а leur silence. Il intйriorisait vite l'idйe que poser des questions йtait incorrect.

Cette politique a produit une gйnйration nйe aprиs-guerre qui s'est trouvйe prise entre les deux feux de la mйmoire officielle et du silence familial. Cette situation permet de comprendre le refus manifestй aujourd'hui par certains Allemands d'une « culpabilisation excessive » de leur pays. En fait, quand un Allemand nй aprиs la guerre dйclare. « Je ne me laisserai pas culpabiliser par des йvйnements auxquels je n'ai pas participй puisque je suis nй aprиs la guerre ». il faut entendre aussi qu'il dit d'abord. « Je ne vous laisserai pas culpabiliser mes parents. »

A partir de cet exemple, on comprend que la question de la mйmoire ne se laisse pas ramener seulement aux deux pфles de l'individu et du collectif. Il faut y ajouter celui de la mйmoire familiale, et comparer la transmission rйalisйe par les institutions officielles, comme l'йcole, а celle qui s'effectue dans les familles.

Dans le cas de l'Allemagne de l'Ouest, un secret collectif non-йlaborй a produit des dйficits dans les transmissions familiales, et celles-ci ont а leur tour perturbй la transmission du message sur le nazisme dйlivrй par l'йcole.

Les parents contre l'йcole.

Ce qui prйcиde peut laisser imaginer que l'йcole et la famille devraient absolument tenir le mкme discours et transmettre les mкmes attitudes. Il semble important, cependant, de maintenir certaines sйparations entre les deux. Le dйsir que manifestent aujourd'hui certains parents de contrфler tout ce qui se fait dans l'йcole peut en effet avoir des consйquences catastrophiques. On se souvient que la question du foulard islamique a йtй considйrйe par certains comme une tentative menйe par des parents intйgristes pour imposer leur loi а leur fille jusque dans l'йcole laпque.

Mais il n'y a pas que les parents intйgristes а vouloir imposer leur regard et leur contrфle sur l'йcole. Certains parents ayant des enfants en crиche, par exemple, demandent l'installation de webcamйras а l'intйrieur de ces йtablissements (1). La premiиre crиche ainsi йquipйe se trouve а Issy-les-Moulineaux. Les parents peuvent ainsi avoir accиs, via un numйro de code personnel, а un site Internet sur lequel ils surveillent leur bambin а son insu ainsi que le personnel chargй de s'en occuper. Derriиre cette affaire de camйras, on trouve le dйsir inconscient de la part des parents d'empкcher le nйcessaire travail de sйparation des enfants et aussi de retarder le leur. La pйriode de la crиche est celle qui permet aux uns et aux autres d'en aborder la premiиre йtape. Du cфtй des parents, elle exige qu'ils acceptent de dйlйguer le pouvoir de rassurer leur enfant а des tiers « maternants », comme ils accepteront plus tard de dйlйguer le pouvoir de l'йduquer а des tiers « paternants ». Dans les deux cas, il s'agit pour eux d'accepter de perdre une partie de leur toute-puissance, et de considйrer l'enfant comme un sujet а part entiиre.

C'est un droit que les lieux de vie collectifs existant actuellement garantissent. Mais il y a un risque que le cordon ombilical virtuel йtabli via Internet fasse obstacle а l'apprentissage en collectivitй loin du regard des parents. Certains parents, et notamment certaines mиres, seront ravies d'en faire l'йconomie. On peut imaginer les propos ambigus qu'un parent ayant vu son enfant la journйe, par camйra interposйe, pourra lui tenir le soir а son retour de la crиche. « Tu ne m'as pas vu, mais moi je t'ai vu, tu as fait ceci ou cela. » Ou mкme. « Si tu le dйsires, tu peux me faire coucou pendant la journйe, oщ que je sois, je te verrai. »

Tous les enfants ont aujourd'hui la possibilitй d'йchapper а leur milieu familial le temps de leur intйgration dans une collectivitй, qu'il s'agisse d'une crиche, d'une йcole ou d'un club. Ils y gagnent d'кtre confrontйs а d'autres regards sur eux que ceux de leurs parents, et donc а un autre point de vue sur leurs apprentissages et leurs possibilitйs. La loi Guizot (1833) a tentй de garantir l'indйpendance des йcoles par rapport aux autoritйs locales. Il est peut-кtre important de rйflйchir а leur indйpendance par rapport а l'autoritй familiale. Les spйcialistes de l'enfance savent combien il est important de respecter l'hйtйrogйnйitй des apprentissages en fonction des lieux et des interlocuteurs avec lesquels ceux-ci sont mis en jeu. certaines acquisitions sont d'abord faites а la maison et d'autres en collectivitй, et il est essentiel de ne pas pousser l'enfant а se dйvelopper forcйment au mкme rythme et de la mкme faзon dans ces deux lieux. A travers cette hйtйrogйnйitй des apprentissages et la maniиre dont l'enfant les traduit et les manifeste, c'est la dйcouverte de sa libertй qui est en jeu.

Dans les annйes 1960, le couple йcole-famille semblait valoir а la mesure de leurs ressemblances ou de leurs diffйrences. Les travaux du sociologue Pierre Bourdieu, en particulier, affirmaient qu'en dйpit de sa vocation dйmocratique, l'йcole publique travaillait а reproduire les inйgalitйs sociales en place. L'enfant n'йtait censй bйnйficier d'une vйritable potentialisation de ses capacitйs que lorsque les connaissances et les maniиres de faire vйhiculйes par l'йcole йtaient identiques а celles de la famille. La synergie des informations et des « habitus » vйhiculйs par l'йcole et la famille constituait une sorte de « turbo » qui propulsait l'enfant bien nй vers le succиs. Au contraire, lorsque le dйcalage entre la culture familiale et celle de l'йcole йtait important, comme c'est souvent le cas dans les familles dйfavorisйes, l'enfant dйveloppait un handicap qui se traduisait notamment par l'йchec scolaire. Ce systиme diabolique mйritait bien le nom sous lequel P. Bourdieu l'a rendu cйlиbre, la « reproduction ».

L'illusion du dйterminisme social

On est bien obligй de constater que les choses ne sont pas si simples. Certains enfants issus de milieux particuliиrement dйfavorisйs s'йlиvent trиs haut dans la hiйrarchie sociale, et P. Bourdieu en est un exemple. D'autres enfants, issus de milieux aisйs, auxquels le « capital culturel » ne manque pas, йchouent pourtant lamentablement, а la fois scolairement et socialement, et ceci indйpendamment de leurs capacitйs intellectuelles.

En fait, les performances scolaires d'un enfant ne sont pas seulement fonction de son intelligence et de l'aide que lui apporte son milieu familial, ne serait-ce que par imprйgnation. Elles dйpendent aussi de sa capacitй а se donner des reprйsentations personnelles, intйgrйes а sa personnalitй, de ce que l'йcole vise а lui transmettre. Or certains enfants se heurtent sur ce chemin а un blocage de leurs capacitйs de symbolisation, parce que certaines de leurs expйriences faites en famille sont pour eux interdites de symbolisation. Il peut s'agir d'expйriences vйcues une seule fois, comme des sйvices sexuels ponctuels. Mais ce sont plus souvent des expйriences faites un peu chaque jour, comme c'est le cas lorsqu'il existe un secret de famille.

Le rйsultat est le mкme dans tous les cas. Le blocage des processus de symbolisation autour de cette expйrience capitale pour l'enfant porte ombrage а l'ensemble de ses performances d'apprentissage. Autrement dit, mкme lorsque le capital culturel ne manque pas а de tels enfants, il est difficilement utilisable. Pire encore, parfois, ces enfants issus de milieux privilйgiйs « jettent le bйbй avec l'eau du bain ». ils « vomissent » en quelque sorte leur capital culturel. Celui-ci leur apparaоt en effet comme une forme grave d'hypocrisie. c'est а leurs yeux le masque derriиre lequel leur famille dissimule des secrets inavouables.

On comprend ainsi comment des enfants issus de familles aisйes et cultivйes en viennent а refuser les facilitйs que leur milieu leur offre et s'engagent dans une carriиre d'йchecs scolaires, voire de dйlinquance ou de toxicomanie. Accepter l'hйritage social serait pour eux accepter l'hypocrisie familiale. D'autres « jettent leur gourme » et essayent de tout reprendre а zйro, avec plus ou moins de succиs.

A l'inverse, il arrive que des enfants issus de milieux particuliиrement dйfavorisйs, а la fois sur les plans des capitaux matйriel, culturel et relationnel, rйussissent brillamment dans leurs йtudes. Quand on connaоt de tels enfants, on s'aperзoit toujours que leur milieu familial encourage leur travail psychique de symbolisation. Lorsqu'il s'agit de familles d'immigrйs, notamment, les conditions de l'immigration et la pйriode qui l'a prйcйdйe font l'objet de rйcits, et il existe souvent des photographies qui en tйmoignent. Enfin, de faзon gйnйrale, aucun йvйnement vйcu par l'enfant n'est interdit de parole. Ce travail d'assimilation psychique des expйriences du monde familial se prolonge alors naturellement dans un travail d'assimilation psychique des expйriences du monde scolaire.

Dans la transmission, ce qui importe, ce n'est pas le contenu, c'est la capacitй de pouvoir se construire des reprйsentations personnelles de ses expйriences du monde, autrement dit la capacitй de symbolisation. Lorsqu'elle est mise en dйfaut par un secret, privй ou social, l'aptitude des enfants а bйnйficier de toutes les formes de transmission, aussi bien familiales que scolaires, peut кtre gravement perturbйe. C'est pourquoi les parents ont avantage а йvoquer avec leurs enfants les questions douloureuses qui les travaillent. Il ne s'agit pas de « tout leur expliquer », mais de les rassurer sur le fait qu'ils ne sont pas responsables des souffrances de leurs parents. En outre, en parlant tфt de ces questions, les parents se familiarisent eux-mкmes avec les mots pour les dire. Quand l'enfant devient assez grand pour tout comprendre, les mots viennent facilement sur leurs lиvres, et ils йtablissent ainsi une communication qui permet а l'enfant de se construire et de bйnйficier de tous les nouveaux apprentissages auxquels il peut кtre confrontй, scolaires ou non.

Serge Tisseron

Psychiatre et psychanalyste. Auteur notamment de Nos secrets de famille . Ramsay, 1999.

Hergй, une oeuvre hantйe par le secret des origines

Porter un secret de famille ne dйtermine pas forcйment le blocage des capacitйs d'expression du sujet. La matiиre mкme du secret peut devenir l'objet d'une curiositй crйatrice. Le dessinateur Hergй a, selon Serge Tisseron, bвti l'ensemble de sa sйrie des Tintin sur la transposition du destin de sa grand-mиre paternelle. Cette derniиre, en effet, domestique dans un « chвteau », avait eu deux fils de pиre « inconnu » avant d'йpouser un ouvrier nommй Remi (Hergй est le pseudonyme de Georges Remi).

Ses deux fils, dont le pиre d'Hergй, furent йlevйs chez une « riche comtesse ». Ils ne connurent jamais le nom de leur gйniteur, Ainsi, le jeune Hergй eut toute latitude pour imaginer qu'il descendait d'un personnage mystйrieux, important peut-кtre. Dans sa jeunesse, il se passionna pour la lecture de Sans famille . d'Hector Malot (1830-1907), l'histoire d'un garзon d'origine noble prйnommй Rйmi enlevй а ses parents et recueilli par des gens pauvres.

On en trouve la projection dans les personnages d'Hergй. Rйmi, c'est Tintin, le capitaine Haddock, c'est Capi, le chien fidиle de Rйmi. Moulinsart, c'est le chвteau des ancкtres de Rйmi. C'est aussi celui oщ la grand-mиre d'Hergй fauta. La Castafiore. Une sorte de « riche comtesse » qui, sur scиne, incarne Marguerite. Dans le Faust de Charles Gounod, Marguerite est une fille-mиre sйduite par un noble. Les Dupond/t. De faux jumeaux, incapables de trouver ce qu'ils cherchent, comme le pиre et l'oncle d'Hergй, qui n'ont jamais rйussi а connaоtre leur origine. Face au dйfi du secret, Haddock boit, les Dupond/t tournent en rond, Tournesol s'enferme dans sa surditй et Tintin, lui, continue de chercher. Tintin, c'est Hergй bien sыr, trouvant dans la lecture de Sans famille une rйponse possible а ses inquiйtudes gйnйalogiques.

Mots-clйs :

trиs intйressant merci d'avoir mis des mots а des maux

Merci pour cet article intйressant oщ je peux mettre des mots а certains maux que je "vis".

Les secrets de familles est un sujet dйlicat et difficile et je fйlicite nicolat journet.

C'est dommage que les tests ADN ne soit plus autorisй par la loi en Suisse aprиs un certain temps. Il devrait lever cela et permettre en tout temps а une personne qui a des doutes de pouvoir faire ce test ADN. Il y a des exceptions pour ceux qui ont des rйvйlation sur le lit de mort par exemple. Mais ce qui n'ont pas de preuves formelles, mais des sous-entendus, des silences qui en disent long etc. pour ces personnes lа il devrait кtre possible EN TOUT TEMPS de pouvoir demander un test ADN pour avoir une preuve formelle que le pиre est le pиre. Double protection en Suisse le test ADN ne peut кtre demandй sans l'accord d'une autre personne. Donc le secret familial a une certaine protection. Et ceux qui souffrent de cela d'une culpabilitй а ne pas arriver а faire confiance а l'autre personne. de ne pas avoir la foi nйcessaire pour croire en Dieu par exemple. La perte de confiance envers ma famille a йtй totale. Trop de cachotterie trop de mises а distance.il y a pleins de zones d'ombres que je n'aime pas du tout et on me dit d'avancer de ne plus penser а son passй que cela ne sert а rien de le remuer. Et je dois vivre avec ces zones d'ombres toute ma vie. mon nom de famille me sonne faux quand je l'entends quand je le prononce alors je dois faire quoi.

J'espиre qu'il puisse y avoir des lois qui stipule trиs clairement qu'en tout temps une personne et mкme adulte et mкme a un вge avancй a le droit de demander un test ADN. Pourquoi j'ai des frissons quand j'entends parler de faux papier, de substitution. de faire passer pour mort. C'est pour faire joli.

Question: Est ce qu'il peut y avoir une corrйlation du fait d'avoir une trиs mauvaise mйmoire pour les prйnoms, les noms de familles, les dates d'histoire car cela peut faire rйsonnance avec un secret de famille d'oщ l'inconscient qui cherche а se protйger.

merci а cet article de mettre des mots prйcis sur des souffrances qui ont ternis la vie de beaucoup de personnes ou des capacitйs sont restй bloquйes par une grande perte de confiance en soi-mкme et par consйquent dans la vie.

mon expйrience en tant qu'objet d'un secret de famille

J'ai dйcouvert а l'вge adulte avoir йtй l'objet d'une substitution d'enfant pour en remplacer un disparu aprиs кtre nйe d'une union extraconjugale, ma vraie mиre йtant une gitane. Quand j'ai dйcouvert que je n'appartenais pas а la famille dans laquelle j'avais grandi, j'ai d'abord ressenti un soulagement car je pouvais enfin comprendre pourquoi je n'йtais pas attirйe par cette famille, gйnйtiquement. Je croyais au dйbut qu'il s'agissait d'une adoption lйgale car on m'avait dit que certaines adoptions se faisaient comme si l'enfant йtait nй des parents adoptifs. Mais quand j' ai fait la rйvйlation de ma dйcouverte aux protagonistes, dossier а l'appui, j'ai subi des menaces et des reprйsailles et ma vraie mиre chez qui j'allais souvent quand j'йtais enfant est passйe de la gentillesse а la mйchancetй avec moi. Ma dйcouverte leur a manifestement fait trиs peur et on m'a fait souffrir comme si зa avait йtй un crime.

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